Voeux 2025

*Cracovie, le 1er janvier 2025* 🇵🇱

À l'Est de l'Europe, en Russie, le pouvoir sclérosé ne se maintient que par le sang versé : celui des opposants, des Ukrainiens, des journalistes et des militants des droits humains. 

Pour nous, Européens, le comportement du Kremlin constitue une menace existentielle, alors qu'une partie de la Russie est européenne et ses intérêts vitaux à long terme auraient commandé de sceller une alliance étroite avec l’UE. 

Cet écartement entre nos peuples aurait pu être évité dans les années 1990-2000. Nos dirigeants ont raté ce rapprochement post-guerre froide. Mais le président russe porte une responsabilité particulière. Il a franchi le Rubicon en envahissant l’Ukraine, dont la population martyrisée se bat aujourd'hui avec courage. J'ai pour elle une pensée particulière en ce nouvel an. 

Les Ukrainiennes et les Ukrainiens forment un rempart contre les velléités expansionnistes de la Russie. Ce rempart est érigé aussi par les pays baltes, les pays d’Europe centrale et orientale qui ont eu à souffrir dans leur histoire des méfaits de l’Union soviétique et qui savent à quoi s’en tenir. 

Ces pays sont aujourd’hui nos plus fidèles alliés – et l’Europe ne doit plus se penser en deux parties, Europe occidentale et Europe orientale, voire en quatre selon un distinguo Nord-Sud, mais bien en un ensemble cohérent et parfaitement solidaire. 

Ce qui se joue ici, en Pologne, mais aussi en Roumanie, en Hongrie, en Grèce, en Lituanie, en Estonie, en Lettonie, dans les Balkans, en Bulgarie, en Finlande, en Slovaquie, importe autant pour l’avenir de nos enfants que la situation en Belgique, en Espagne, aux Pays-Bas, en Italie, au Portugal, en Suède, au Danemark, ou encore au Luxembourg. 

Tous ensemble, nous devons renforcer l'Europe de la Défense et ne plus dépendre des protections étrangères.

1. ➡️ S'affranchir des tutelles 

Outre-Atlantique, la réélection de Donald Trump dissipe les illusions de protection américaine. Comme l’écrit Patrick Wintour, éditorialiste du Guardian, l’administration américaine, qui disposera du pouvoir dans moins d’un mois, « conteste tous les éléments de l’ordre libéral international : le commerce, les alliances, la libre-circulation, le multilatéralisme, la solidarité entre démocraties et les droits humains ». 

Les Etats-Unis pourraient-ils devenir une force perturbatrice plutôt que stabilisatrice ? Les récentes déclarations du président élu sur le Panama, le Canada et le Groenland, sous couvert d’humour, relativisent l’atteinte à la souveraineté de ces États. Terrain glissant ! Nous, Européens, savons d’expérience qu’il ne faut pas jouer avec les frontières pour l’avoir suffisamment fait – et mal, aux XIX et XX ème siècles.

La mort du président Carter, artisan de la démocratie, des droits de l’homme et prix Nobel de la Paix (non-exempt bien sûr de certaines erreurs) semble signer la fin d’une époque où les États-Unis se voulaient l'épicentre du « monde libre ». 

En 1835, Alexis de Toqueville, dans son ouvrage De la démocratie en Amérique, alertait déjà sur les possibles dégénérescences de la démocratie vers une « tyrannie de la majorité » et vers une forme de « despotisme » favorisé par l’individualisme, la démagogie et le désengagement des citoyens, concentrés sur leur sphère privée. Ce danger nous guette aujourd’hui, non seulement aux États-Unis mais dans bien des pays.

2. ➡️ Se souvenir des leçons de l'Histoire

En Pologne, où 90% de la population juive – qui représentait 3,3 millions de personnes – a été exterminée par la Shoah, la mémoire lutte pour rester en vie, alors que les traces physiques de ce passé traumatique s’estompent. Des activistes, des professeurs, des historiens, des mouvements de jeunesse, se mobilisent pour que ne soit pas oublié l’héritage juif de la Pologne, aux côtés des autres héritages spirituels de ce grand pays.

La mémoire est plus qu’un devoir, elle est un « principe actif de l’intelligence ». La transmettre diminue le risque que se reproduisent les pires dérives de l'histoire, permet d’inciter à la mesure et à la prudence. 

3. ➡️ Réguler la violence

L'être humain étant capable du meilleur comme du pire, il nous incombe d’inhiber le pire et de cultiver le meilleur. Montesquieu écrivait que « les hommes sont comme les plantes, qui ne croissent jamais heureusement si elles ne sont bien cultivées » (Lettres persanes 122).

Or, que constate-t-on ? Que la violence est désinhibée, que les propos outranciers deviennent courants, que les provocations prospèrent, que les règles de droit international sont bafouées et qu’il n‘y a plus d’autorité régulatrice capable de faire respecter ces règles de bien commun – établies aux lendemains de la Seconde guerre mondiale pour nous prémunir des pires derives. La sagesse, c’est aussi de poser des limites à notre propre licence, à mettre des bornes à l’effusion de la violence. Il y a un droit de la guerre et, même dans la guerre, le droit doit prévaloir ! 

4. ➡️ Cultiver la meilleure part de nous-mêmes 

2025 se trouve au point de bascule entre des forces contradictoires, et je veux croire qu’à ce stade rien n’est perdu ni écrit à l’avance. Je veux lancer un message d'espoir et d'unité. 

Il nous est encore possible de ramener nos proches à la raison, de favoriser l’éducation, la tolérance, la bienveillance, de cultiver la meilleure part de nous-mêmes qui est capable de bâtir des cathédrales, d’être solidaire face aux catastrophes, de lutter contre l’impunité et la corruption, de conforter les droits humains, de respecter la dignité de chacun, de faire diminuer la pauvreté et progresser les sciences, d’entreprendre, de s’associer, de coopérer, d’utiliser les technologies à bon escient, de toujours garder une boussole éthique, d’aider son prochain, de faire œuvre utile pour le bien commun !

Dans un monde où nous avons l'impression que la bouffonnerie et la falsification gagnent du terrain, nous avons besoin de retrouver le chemin de la raison. C’est sur ces vœux de modération, de bonté, de fraternité et d'unité de la famille européenne et de la famille humaine en général que je vous souhaite une année 2025 constructive et combative, au bon sens du terme.

Soyons tous ensemble les bâtisseuses et les bâtisseurs d’un monde de justice, de paix et d’humanisme. 

Belle et heureuse année à vous tous ! 🌟

Benjamin Boutin