Le 8 mai 2025 à l'Ambassade de France au Canada, j'ai rendu hommage aux combattants de la liberté de la Seconde Guerre Mondiale et appelé le Canada, la France et l'Union européenne à renforcer leur partenariat stratégique, dans le cadre d'une conférence organisée par le Forum de Défense et de Stratégie, l'Association nationale France-Canada et de nombreux partenaires à Ottawa, en présence de la cheffe d’État major des Armées canadiennes, de dix ambassadeurs, d’experts, de hauts responsables militaires ainsi que des personnalités d'avenir France-Canada sur les enjeux de Défense et de diplomatie.
Ferdinand Foch disait qu'« un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ». Alors que nous avons commémoré l'année dernière le quatre-vingtième anniversaire du Débarquement, notamment à Juno Beach, sur les plages de Normandie, il nous revient aujourd'hui de célébrer la Victoire alliée, qui nous a apporté huit décennies de paix, de prospérité, de progrès.
Un devoir de mémoire
Je tiens à dire aujourd'hui que nous n'oublierons pas les 14.000 Canadiens engagés volontaires qui ont débarqué en Normandie le 6 juin 1944. La campagne de libération à laquelle ils participèrent coûta la vie à 5.500 d'entre eux sont, sans oublier les soldats canadiens morts lors du raid de Dieppe, en août 1942.
Nous avons eu l'occasion de nous recueillir au cimetière de Bény-sur-mer, en Normandie, où reposent 2.049 de ces héros de guerre, et l'Association nationale France-Canada compte en ses rangs des personnes qui entretiennent ce souvenir, année après année, et qui soutiennent le Centre Juno Beach, depuis sa création.
Pour honorer ces héros, ces combattants, qu'ils fussent bien sûr Canadiens, mais aussi Britanniques, Américains, Français, Européens, Australiens, Africains, issus de l'espace francophone et du Commonwealth, le devoir de mémoire reste indispensable. Nous nous inclinons avec respect et avec gratitude devant ces combattants de la liberté. Nous n'oublions pas non plus les déportés, les prisonniers, les blessés, les résistants, toutes les personnes qui appuyèrent l'effort de guerre au service de la paix. Cette mémoire doit rester active, consciente, engagée et transmise de génération en génération.
Un contexte international dégradé
Pour nombre d'entre nous ici, nous n'avons pas vécu la guerre, directement sur notre territoire. Nous l'appréhendons à travers les livres, les films, les archives, les médias, les témoignages parfois de nos grands-parents ou arrières grands-parents, par le devoir de mémoire, disais-je, par l'école. Nos pays se sont engagés bien sûr ces dernières années dans des opérations militaires extérieures, dans le cadre de l'OTAN, de l'ONU ou de coalitions ad hoc, comme en Afghanistan.
Nous sommes évidemment très préoccupés par la situation en Haïti, par exemple, à Gaza, dans d'autres zones où les populations civiles sont durement frappées. Mais il est clair qu'appréhender la guerre à distance, par différentes médiations ou intermédiations, c'est bien différent du fait de la vivre, d’en ressentir l'angoisse pour soi et sa famille, d'aller sur le terrain pour combattre, d'être en guerre sur son territoire.
Je veux saluer le courage du peuple ukrainien, sa résistance, sa résilience. Nous sommes fiers ce soir, Monsieur l'Ambassadeur, d'avoir à nos côtés l'Ambassadrice d'Ukraine au Canada. Merci. C'est un honneur que vous nous faites d'être parmi nous.
Une victoire précaire
En ce quatre-vingtième anniversaire de la capitulation nazie, nous avons quand même le sentiment que cette victoire est fragile, très précaire, alors que nous voyons s'accumuler les menaces dans le ciel des relations internationales.
L'un des vainqueurs de cette Seconde Guerre mondiale est aujourd'hui un agresseur. La Russie, censée garantir la paix, la viole. Mérite-t-elle de conserver son siège au Conseil de sécurité des Nations unies ?
Les États-Unis d'Amérique qui se voulaient il y a peu encore les gendarmes du monde, garants d'un certain ordre, sont aujourd'hui un élément parfois perturbateur qui nous déstabilise économiquement, intellectuellement, sur le plan de nos valeurs et de notre attachement à un monde fondé sur le droit. Lorsque la première puissance de notre alliance parle même parfois d'annexer son plus proche voisin, mais aussi le territoire autonome du Groenland au sein du Royaume du Danemark, on se demande comment la situation a pu dégénérer à ce point.
L'une des questions que nous allons traiter ce soir est la suivante : assiste-t-on au retour des logiques de prédation sur la scène internationale ? Au-delà des causes de cette dégradation assez drastique, voire de ce changement de paradigme, émerge une question essentielle : comment nos pays qui sont responsables, qui sont aussi déshabitués à la guerre sur leur propre territoire, peuvent-ils parer à toute éventualité ?
Tenons-nous le pour dit : la faiblesse ne protégera pas nos populations. Le Canada et l'Europe doivent être forts ! L'Union européenne bien sûr, le Royaume-Uni également. Nous avons, des deux côtés de l'Atlantique, l'immense défi de renforcer notre autonomie stratégique, non seulement dans le domaine militaire, mais aussi économique, alimentaire, sanitaire, énergétique et autres - et le devoir aussi de protéger nos démocraties, qui peuvent faire l'objet d'attaques, notamment cybernétiques, ou de tentatives de manipulations informationnelles de nos opinions publiques.
L'Esprit de Défense
Donc, Monsieur l'Ambassadeur, vous avez parlé de l' « esprit de défense », qu’il est tout aussi important de le promouvoir que l'esprit démocratique. Cet esprit de défense doit être partagé par toute la société. C'est parfois ce qu'on appelle en France le « lien Armée-Nation », un lien qui doit être d'or entre l'armée et la nation - qui se traduit notamment par des institutions : je veux saluer le rôle de l'IHEDN, de la Commission Armée-Jeunesse et bien sûr des mécanismes de Réserve opérationnelle. Mais peut-être qu'il y aurait d'autres mécanismes à imaginer - avec le Canada d'ailleurs - comme un Erasmus militaire, davantage d'exercices entre nos armées, l'insertion croisée d'officiers dans nos armées et bien sûr du partage de renseignement, pour cheminer vers une coopération Canada-France-Europe accrue.
En septembre 2024, le Premier ministre canadien et le Président de la République française sont parvenus à une Déclaration commune en matière de Défense et de sécurité, sur le socle bien sûr de notre longue histoire, de nos intérêts, de nos valeurs. Et aujourd'hui, il faut en assurer la mise en œuvre et peut-être aussi aller plus loin. Nous avons la chance, nos deux associations, le Forum de Défense et de stratégie et l’Association nationale France-Canada, de contribuer à cet élan de rapprochement entre nos peuples dans le domaine militaire, en ayant été à l'initiative du programme de Personnalité d'avenir France-Canada sur les enjeux de Défense et de diplomatie. Notre but, c'est de faire émerger une nouvelle génération engagée dans ces domaines-là. Et d'ailleurs, je voudrais saluer la deuxième promotion qui est présente ce soir. Vous aurez l'occasion sans doute d'échanger avec eux. Ils sont issus à la fois de la France et du Canada et sont très engagés sur ces questions militaires et capacitaires.
Engager une nouvelle génération
Cette nouvelle génération doit prendre le flambeau, 80 ans après la Libération. Nos pays ont besoin, je crois, de chefs de file qui connaissent les enjeux de Défense, qui réfléchissent, qui impulsent, qui agissent, qui décident et qui savent se parler de part et d'autre de l'Atlantique.
Notre précédente promotion a été sollicitée pour produire des idées également. Et c'est ce qu'on leur demande, d'être en mode production d'idées, afin d’approfondir cette coopération. Leurs idées ont été condensées dans un numéro de la Revue Défense nationale. En réalité, c'était le premier numéro qui portait sur la relation Canada-France de Défense depuis 1939 ! Nous sommes très fiers d'avoir coordonné ce numéro avec Laurent Borzillo et Téodora Morosanu. Je vous invite à le lire.
Pour terminer, avant de céder la parole à Sarah-Myriam Martin-Brûlé et à Laurent Borzillo justement, je veux simplement vous dire que, plus que jamais, dans le contexte actuel, la France et le Canada ont besoin de renforcer leur partenariat stratégique, mais plus largement l'Europe.
Vous êtes dans la salle dix ambassades européennes représentées. Merci beaucoup d'être là ! Nous avons besoin d'ouvrir davantage ce programme aux pays européens. Vous êtes les bienvenus. Nous avons déjà d'ailleurs dans notre promotion une Portugaise et nous sommes ouverts à accueillir d'autres jeunes de l'espace euratlantique. Donc grâce à vous, nous allons mobiliser cette nouvelle génération qui est indispensable pour faire vivre et perpétuer cet esprit de défense ! Merci.
Ce discours a été précédé par le mot d'accueil de l'Ambassadeur de France au Canada, Son Excellence Michel Miraillet, et suivi d'une allocation de Laurent Borzillo puis d'une table-ronde modérée par Sarah-Myriam Marin-Brulé (professeur titulaire, Politique et études internationales, Université Bishop's) sur la sensibilisation des sociétés aux enjeux de Défense.
Les panélistes étaient Geneviève Tuts (Ambassadrice de l’Union européenne au Canada), Matthias Lüttenberg (Ambassadeur d’Allemagne au Canada), Générale Jennie Carignan (cheffe d’état-major de la Défense, Forces armées canadiennes) et Thomas Juneau (professeur titulaire, Faculté des sciences sociales, Université d'Ottawa).